Entretien avec Hugo Drappier et son domaine viticole zéro carbone

Si les toitures des bâtiments agricoles sont un moyen d'amortir des factures d'énergie et de rentabiliser des surfaces considérables, certains acteurs de la filières agissent aussi par convictions. Le domaine Drappier, situé à Urville, en Champagne, existe depuis 1808. Depuis 2015 c'est aussi la première Maison de Champagne en Carbone Zéro.

1. Vous avez été le premier domaine « carbone neutre » en Champagne. Quelles ont été les premières démarches écologiques du domaine et qui les a initiés ?

Je pense ne pas me tromper mais je crois que nous sommes encore le premier et le seul domaine carbone neutre en Champagne et en France. C’est mon père qui a initié les premières démarches au début des années 2000. Tout est né d’une impulsion de notre interprofession qui regroupe les négociants, les vignerons… en 2003 un premier calculateur bilan carbone a été mis à disposition des vignerons, créer par l’interprofession et basé sur des consommations propres à la Champagne. Notre premier diagnostic date de 2005 et les premières actions datent de 2010 avec notre première installation photovoltaïque.

2. Pouvez-vous nous parler de ce que vous avez mis en place jusqu’à aujourd’hui ? Les véhicules électriques, les bornes de recharge…

Depuis les années 2000 nous travaillons à la conversion du vignoble en bio et en 2014 nous avons obtenu la certification sur un tiers de notre vignoble. C’est aussi l’année de l’installation de notre seconde centrale photovoltaïque.  En 2018 nous installons une troisième centrale en autoconsommation et avec laquelle nous prévoyons de faire du stockage virtuel. Nos deux autres centrales sont en revente directe. Cette même année nous achetons nos premiers véhicules électriques, ce qui rejoint une démarche globale et une réflexion de la famille. Le but est de devenir le plus indépendant possible à tous les niveaux. Nous avons nos propres vignes, notre raisin, nous faisons tout nous-même. Dans cette logique nous voulons aller vers l’indépendance énergétique. Nous avons investi dans un tracteur électrique en 2019, que nous rechargeons avec l’énergie de nos panneaux solaires. Nous avons le projet de n’avoir plus que des véhicules électriques mais se débarrasser de tous nos engins actuels du jour au lendemain n’aurait pas de sens donc nous attendons qu’ils meurent de leur belle mort ou presque pour les remplacer par de l’électrique. Nous avons mis à disposition des bornes de recharge pour nos collaborateurs mais également pour tous les visiteurs. Certaines personnes de nos équipes ont donc franchi le pas et ont acheté un véhicule électrique.

3. Parlez-nous plus en détails de vos centrales photovoltaïques ?

Notre première centrale de 2010 fait 100 kWc, celle de 2014 fait 70 kWc et celle de 2018, 250 kWc. Nous avons toujours voulu mettre des centrales sur les toits et pas au sol afin de conserver nos surfaces agricoles donc à chaque fois qu’il y a une rénovation, on se pose la question. La première centrale est en toiture intégrée sur un nouveau bâtiment mais celle de 2014 a été installée suite à une rénovation sur un cellier semi-enterré, puisqu’en Champagne il faut stocker plusieurs années donc nous avons de la surface.

4. La prise de décision en famille autour de ces questions et aménagements est-elle toujours évidente ?

Oui. On peut dire que tous les sujets ne sont pas évidents mais celui-là l’est. Nous avons la même vision, le même projet. Si au début l’impulsion vient de mon père, c’est moi qui m’en suis un peu plus occupé, peut-être parce que j’ai une sensibilité un peu plus forte qu’eux sur ces questions mais on est tous d’accord sur l’objectif et la finalité. Les décisions d’investissement se font assez facilement

5. Aujourd’hui qu’attendez-vous de votre fournisseur d’énergie ?

Depuis qu’on a acquis la neutralité carbone, nous nous sommes rendus compte en 2015 que nous étions toujours un peu limités par nos fournisseurs. Nous n’avons ni la prétention ni la volonté d’imposer des cahiers des charges à nos fournisseurs mais le caractère écologique rentre en considération depuis quelques années : maintenant on les choisi entre autres, en fonction de leur idiologie. Par exemple, notre verrier a construit une usine à Doubaï ! On leur a demandé de conserver la production de notre bouteille spéciale Drappier en Picardie et ils ont réussi à le faire pour nous. C’est la même chose pour notre fournisseur d’énergie. Toutes ces questions viennent impacter notre bilan carbone. Aujourd’hui nous sommes en autoconsommation à 72% et nous voulons aller vers le 100%. D’où l’intérêt des batteries virtuelles, car nous n’avons aucunement l’intention d’acheter des batteries physiques : économiquement trop lourd et écologiquement, trop incertains. Notre fournisseur d’énergie doit de toute façon nous livrer une énergie renouvelable comme on le fait chez nous. Les services adjoints sont aussi importants : conseils, suivis de consommation, etc. 

6. Comment avez-vous entendu parler d’Urban Solar Energy ?

Par mes recherches sur internet. Je voulais de toute façon souscrire à une offre d’énergie renouvelable mais j’avais entendu parler de la batterie virtuelle.

7. Pourquoi avez-vous choisi notre solution de stockage virtuel plutôt qu’une autre ? (En cours)

On nous obligeait à brider les onduleurs parce que la capacité de la centrale dépassait les seuils. On pouvait vendre notre surplus ou la totalité de la production mais ça n’était pas du tout l’objectif. Depuis que nous avons installé cette centrale je suis les courbes de production et j’ai réalisé qu’une part non négligeable d’énergie était perdue. En attendant on adapte nos consommations, on ne fait plus tourner certains appareils la nuit, on recharge nos véhicules en journée… Tout ça combiné fait qu’on a gagné en efficacité en passant de 30% de perte à moins de 20% aujourd’hui. Donc on s’est dit qu’il fallait trouver un système pragmatique et pertinent tout en calculant les coûts qu’on pouvait supporter. 

8. En Champagne, diriez-vous que la tendance est à l’écologie afin de répondre aux demandes du marché ou est-ce une vraie prise de conscience ?

Oui et non, il y a une prise de conscience depuis une dizaine d’années, mais ça n’est pas lié au marché, pas en Champagne puisque c’est un marché de marques et un marché de niche. Tout ce qui a été fait depuis dix ans, ça concerne surtout la pollution des sols, des vignes, etc… Mais depuis trois ou quatre ans le marché commence à faire pression sur les producteurs, de par le développement des labels (HVE). Les grands acheteurs et l’Etat encouragent ou font pression pour qu’on se fasse certifier mais de mon point de vue, rien n’est encore assez avancé, ambitieux ou même sérieux. Notre label neutralité carbone n’est pas reconnu alors que les labels certifiés donnent droit à des primes, des reports de charges… La Champagne est classée au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2015. Elle a le devoir d’être exemplaire.

9. Avez-vous d’autres ambitions écologiques pour la suite ?

Oui beaucoup ! On ne sait pas par où commencer ! On aimerait passer la totalité du vignoble en bio, aujourd’hui on est à la moitié. Le bio peut occasionner beaucoup de pertes en Champagne en particulier, on l’a vu cette année. On a aussi eu des années compliquées, une météo difficile, le gèle etc… économiquement il faut faire le calcul. Nous ne voulons pas aller trop vite. Ensuite on aimerait avoir 100% de notre électricité produite sur place, on est à 72% aujourd’hui. Pour ce tout ce qui est consommation de pétrole, on est passé au biocarburant, mais nous ne sommes pas capables de le produire nous-même. Donc on aimerait bien passer toute la flotte en électrique et si possible verte grâce à nos panneaux solaires. On aimerait aussi que nos fournisseurs soient un plus verts y compris dans le transport. On a des bouteilles qui partent en Nouvelle-Zélande, ce qui est comptabilisé dans le bilan carbone. On travaille sur le déplacement de nos visiteurs, de nos salariés… Il y a des lignes de chemin de fer chez nous et c’est mon crève-cœur de passer à côté tous les jours et de voir qu’elles ne transportent pas nos marchandises. Personne n’a l’air de vouloir remettre ça en état. Presque tout notre fret passe par Troyes ou par Paris avant de transiter alors qu’il y a une ligne Bar-sur-Aube – Paris qui pourrait nous servir mais nous sommes contraints d’utiliser le transport routier. Ma sœur Charline est en discussion avec une entreprise qui fait du fret Maritime aux Etats-Unis par voilier. Bientôt nous expédierons une partie de notre marchandise par ce biais. Pour le moment le bateau est encore en cours de construction. La fabrication du verre pour nos bouteilles qui est chauffé au gaz est également un gros post du bilan carbone.

10. Un dernier mot ?

On aimerait que la contrainte administrative en général se simplifie, c’est vraiment un frein important pour le développement des énergies renouvelables. Nous sommes les premières victimes du réchauffement climatique, on le voit tous les ans en tant qu’agriculteurs alors évidement on aimerait bien que ça aille plus vite. On aimerait aussi qu’il y ait un peu moins de désinformation. Depuis qu’on fait tout ça, on s’en est pris plein la figure. De par des confrères, des collègues, de clients à propos de l’impact soi-disant néfaste des panneaux solaires parce qu’ils ne sont pas 100% recyclables, pas toujours fabriqués en France… Or, nos panneaux sont fabriqués en France et nous n’imaginons pas qu’ils ne seront pas recyclés dans 20 ans. Il y a beaucoup de gens mal informés qui sont très hargneux, qui campent sur leurs idées et ça peut nous porter préjudice. On essaie de faire un peu de pédagogie mais ça n’est pas simple ! On aimerait bien que la société évolue un peu plus vite. Le domaine de l’énergie ça n’est pas notre métier, nous ne sommes pas experts en la matière, nous sommes avant tout vignerons, notre première volonté c’est de faire le meilleur vin qui soit l’écologie vient après. Notre cœur de métier c’est le vin, mais nous sommes convaincus que grand vin et environnement préservé vont de pair.

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